27/05/2020

Le quotidien difficile des proches aidants

Les proches aidants témoignent souvent de leurs conditions de vie compliquées. L’évolution législative est une réelle avancée et une reconnaissance.

Entretien

Qui sont-elles ?

  • Marie-Pierre Gariel est membre de l’AFC de Toulon et membre du conseil d’administration de l’union nationale des associations familiales (UNAF) dont elle préside le département d’étude « Protection sociale, santé, vieillesse ».
  • Florence Gros est responsable de la permanence « Écoute & conseil » de la fondation Office chrétien des personnes handicapées (OCH).

Au quotidien

Dans quel contexte les proches aidants familiaux évoluent-ils en France aujourd’hui ?

Marie-Pierre Gariel – L’accélération du virage ambulatoire (1) implique une large participation des aidants familiaux et un risque de les voir endosser des responsabilités incombant à des professionnels. La prise en charge des personnes dépendantes repose de plus en plus sur les solidarités familiales. Ce sont bien les familles qui sont le plus souvent les interlocuteurs des services ou des établissements. Les pouvoirs publics commencent à se saisir de la question : la loi de ­ financement de la Sécurité sociale 2020 (LFSS) prévoit l’indemnisation du congé de proche aidant et la mise en place d’une stratégie de soutien aux aidants. Ceux qui accompagnent un proche en situation de dépendance ou de handicap sortent en­ n de l’invisibilité.

Florence Gros – En effet, les aidants sont extrêmement nombreux. Leur pro­fil est très divers selon le handicap ou la maladie de la personne aidée. Ils sont trop souvent mal informés sur leurs droits et sur les aides existant alors même que je note un déploiement d’initiatives, de plateformes d’information pour aider le couple « aidant-aidé » : répit, accueil temporaire, groupe de parole, baluchonnage, service d’écoute, formations proposées par les associations… Les aidants y ont encore trop difficilement accès. Chacun aspire à vivre le plus longtemps possible chez soi, l’État favorise l’inclusion… Cela ampli­ e le rôle des aidants qu’il nous faut accompagner.

Comment les aidants familiaux ont-ils vécu la période de confinement ?

F. G. – Ce fut une période très anxiogène pour eux, pour des causes variées : isolement renforcé, arrêt de certains soins, difficulté à faire comprendre les consignes gouvernementales à leur proche handicapé, promiscuité éprouvante, insécurité… Quelques aidants nous ont aussi partagé de belles initiatives qui les ont aidés au-delà de leur espérance : ligne d’écoute créée dans un ESAT à destination des travailleurs porteurs de handicap, aides spontanées des voisins, aide à domicile qui est restée bien au-delà de son temps de travail pour écouter le malade et l’aidant…

M.-P. G. – Une responsabilité supplémentaire s’est imposée à eux, notamment pour ceux dont un proche a été renvoyé brutalement à domicile, et qui se sont retrouvés à organiser des soins à domicile. Ceux qui bénéficiaient de dispositifs de répit ne le pouvaient plus. Ils ont donc dû affronter l’usure du quotidien avec leur proche malade, sans espace de respiration. Ceci constitue une véritable épreuve psychologique, qui s’ajoute à la crainte de la contamination.

Des joies et des peines

Plus généralement, quelles sont les difficultés qu’ils affrontent au quotidien ?

M.-P. G. – Un manque de temps : il faut concilier vie professionnelle, vie familiale et situation d’aidance. Être un aidant a des répercussions sur la santé : fatigue, trouble du sommeil, douleurs au dos… L’apparition de tension avec la personne aidée et le reste de la famille a diverses raisons : prise de décision du maintien à domicile ou de l’entrée en établissement ; nécessité d’envisager une mesure de protection juridique ; conflits avec le personnel intervenant à domicile ou en établissement, organisation du soutien à domicile ; difficulté ­ nancière liée à l’aide qu’ils apportent, difficultés à connaître les dispositifs dont ils peuvent béné­ficier.

F. G. – Ce que j’entends le plus, c’est l’usure (pas forcément à cause de la répétition des gestes de soin à donner mais parfois à cause de la montagne de papiers à remplir et de justi­ficatifs à obtenir pour béné­ficier d’une aide), de la solitude (beaucoup d’aidants familiaux disent que la maladie ou le handicap a fait le vide autour d’eux) et l’insécurité face à l’avenir.

Quelles sont à l’inverse les joies qu’ils rencontrent ? Quelle expérience en tirent-ils ?

M.-P. G. – Les aidants disent souvent que leur situation les a rapprochés de leur proche dépendant ou en situation de handicap, et leur a permis d’acquérir des compétences. Malgré l’usure, la joie de donner à ceux que l’on aime demeure.

F. G. – Les joies sont multiples et cohabitent souvent avec des moments plus sombres ou de fatigue. Une visite inattendue, un progrès inespéré, une accalmie dans une période de crise, un temps familial ou amical de qualité, un geste de tendresse ou une parole grati­fiante reçue, se sentir aimé ou porté par la prière de sa communauté… Toutes joies que les aidants savent apprécier mieux que d’autres. Écouté, reconnu, accompagné, l’aidant peut ainsi trouver du sens et de la joie dans ce qu’il vit.

Au plus proche des aidants

Que pensez-vous de l’évolution législative depuis mai 2019 et du projet de loi en cours en faveur des proches aidants ?

F. G. – L’aidant est un maillon essentiel du système de santé parce qu’il est le soutien du malade. Cette loi a le mérite de reconnaître en­ n le travail de ces aidants restés trop longtemps dans l’ombre jusqu’à mettre leur propre santé en danger. Cette loi s’inquiète du proche aidant (dans le dossier médical de la personne aidée, on trouvera des informations sur le proche aidant), vise à concilier vie professionnelle et vie personnelle des aidants qui travaillent et améliore le dispositif d’aide par des professionnels médico-sociaux. Tout ce qui pourra aider les aidants familiaux est une bonne nouvelle. On a pris, dans cette loi, la mesure des difficultés de l’aidant qui travaille. N’oublions pas la mère de famille qui a arrêté de travailler pour s’occuper de son enfant porteur de handicap ou le conjoint jeune retraité qui assiste 24h/24 son proche souffrant. Nous devons réfléchir aux besoins multiples des aidants pour leur permettre d’être aussi parents, époux, enfants, frères et sœurs…

M.-P. G. – Pour que le congé prévu par la LFSS permette le maintien des aidants familiaux dans la vie professionnelle, il est nécessaire que son existence et ses modalités fassent l’objet d’une communication très large, que les démarches soient facilitées, que son champ d’application prenne en compte les personnes souffrant d’une maladie chronique invalidante… La stratégie de mobilisation et de soutien aux aidants regroupe 17 mesures concernant le soutien au quotidien, les démarches administratives et les droits sociaux, la conciliation vie personnelle- vie professionnelle, le répit, la santé des aidants et les jeunes aidants. L’UNAF sera attentive à la façon dont ces mesures seront mises en œuvre et déclinées concrètement. Un plan pour les aidants doit être étroitement imbriqué avec un plan pour les personnes aidées elles-mêmes : les aidants, quand bien même ils interviennent, ne sauraient se substituer à des interventions professionnelles. Il existe des proches aidants de tous âges.

Les jeunes proches aidants sont de plus en plus nombreux. Comment vivent-ils cette situation ?

M.-P. G. – Si beaucoup ressentent de la ­fierté et se sentent plus matures, la responsabilité qu’ils portent implique des risques de décrochage scolaire, une vie sociale heurtée, un isolement, des effets sur la santé, du stress, un sentiment d’être dépassés. Ces jeunes aidants font les mêmes tâches que les aidants adultes : 20% d’entre eux s’occupent de l’intimité de la personne aidée (toilette, habillement, douche…), selon l’enquête Ipsos Novartis sur les jeunes aidants de 2017. Leur principal besoin est de pouvoir échanger avec d’autres jeunes aidants.

F. G. – Les jeunes aidants vivent des émotions fortes qui se mélangent : la fierté peut cohabiter avec la honte ou la colère avec la joie… Si des personnes sont attentives aux émotions que ressent le jeune aidant, conscientes qu’elles rejoignent un besoin auquel il est important de répondre, il va pouvoir grandir au mieux dans cette famille peu ordinaire. Selon les ressources de l’enfant, la façon dont l’autre parent vit la maladie ou le handicap, les soutiens qu’il a, le jeune aidant ne sera pas impacté de la même manière. Les jeunes aidants que nous recevons à l’OCH disent combien il est difficile de partager ce qui les habite. Ils font souvent tout pour cacher ce qu’ils vivent à la maison, tentent de consoler leurs parents. À nous, adultes, d’être attentifs à eux : beaucoup de jeunes aidants devenus adultes nous ont dit : « on me demandait des nouvelles de mes parents handicapés, jamais des miennes ». Ne les laissons pas dans l’ombre.

(1) – Le virage ambulatoire désigne le passage d’un système centré sur l’hôpital à celui axé sur le parcours de santé entre les structures de villes et les établissements médico-sociaux.

Crédit image : Adobe Stock et rawpixel.com

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