IA et enseignement : encourager le contact avec le réel

J’ai pris conscience de l’importance que l’IA allait prendre dans mon métier d’enseignante l’année dernière, lorsque j’ai donné une rédaction à faire à la maison à des élèves de troisième. J’ai reçu trois copies bien trop élaborées pour leur âge. Surtout, malgré les différences de formulation, je percevais une sorte de trame commune. Ces élèves ont fini par m’avouer que ces rédactions ne venaient pas d’eux. Pour l’instant, la question des devoirs maison est le problème principal auquel je suis confrontée.
Une question d’honnêteté
La plupart de mes élèves, dès la 6e, font appel à ChatGPT, pour connaître la météo ou organiser leur week-end, avec le même naturel que ma génération le faisait avec Google. Beaucoup d’entre eux font donc de même avec les devoirs maison. Ce qui me gêne beaucoup, c’est le rapport à la vérité. Quand ils me rendent un devoir écrit par ChatGPT en mettant leur nom, ce n’est pas honnête. Je le leur fais remarquer et je suis très sévère sur cette question. Le problème, c’est qu’il n’y a aucun moyen fiable de le savoir. Ils peuvent personnaliser leurs prompts, pour que le devoir ait l’air écrit par un élève de 6e ou de 3e, ou pour qu’il contienne quelques fautes d’orthographe…
Adapter son enseignement
Mais je ne peux pas faire peser le temps qu’ils doivent passer à leurs devoirs maison sur le peu d’heures de classe dont je dispose ! Pour les réorienter, je me suis demandé ce que l’IA ne pouvait pas faire. Par exemple, elle ne peut pas apprendre par cœur. Je leur demande donc régulièrement d’apprendre des extraits par cœur et d’apprendre à les situer, pour pouvoir les déclamer en classe. Ce contact avec la langue et avec sa beauté est très riche. Et cela permet de muscler leur cerveau. Car l’une de mes peurs, avec l’IA, c’est la passivité qu’elle induit, quand on devient le consommateur d’une réflexion fournie par une machine.
Une autre de mes méthodes, c’est de leur donner en avance un sujet de rédaction : ils ont une semaine pour mener leurs recherches comme bon leur semble, pourquoi pas avec l’IA, de la même manière que ma génération allait au CDI. Et la rédaction se fait en classe, ce qui garantit que le travail de réflexion est le leur.
Les conséquences de l’IA
Parmi les conséquences de la place grandissante du numérique dans nos vies, je remarque que mes élèves – comme moi-même ! – ont plus de mal à concentrer leur attention, notamment pour la lecture. Ils sont aussi moins actifs intellectuellement : je perçois moins d’émerveillement face à la nouveauté d’un savoir.
Mais je suis convaincue qu’il ne sert à rien de se crisper sur la question de l’IA : plutôt que de dénoncer la passivité qu’elle introduit insidieusement dans nos vies, je trouve plus intéressant d’encourager le contact avec le réel. Je cherche donc à développer un enseignement plus kinesthésique, qui fait appel à tout le corps. J’aimerais aussi développer davantage le théâtre. L’émergence de l’IA pose des questions passionnantes qui m’obligent à approfondir ma réflexion sur le sens de mon métier et à me réinventer.
Propos recueillis par Sophie le Pivain