09/11/2023

Journées des AFC à Rome : discours du cardinal Parolin

Voici le discours du Cardinal Parolin à l’occasion des Journées nationales des représentants des AFC qui se sont tenues à Rome les 7, 8 et 9 novembre 23.

Je suis heureux de vous rencontrer, chers responsables des Associations Familiales Catholiques, à l’occasion de votre session annuelle qui se tient cette année à Rome. Je vous salue tous bien cordialement, en exprimant ma gratitude pour votre aimable invitation qui me permet de connaître mieux les AFC. Je vous apporte aussi les salutations paternelles du Saint-Père, qui, comme vous le savez, a fait de la famille une des priorités de son Pontificat.

Dans votre lettre, Madame la Présidente, vous me disiez qu’il était important pour vous, « en ces temps où les défis sont toujours plus nombreux, de venir puiser à la source de l’espérance qui vous anime ». Cette espérance vous l’avez trouvée ces jours-ci, auprès des Apôtres, par la prière que vous leur avez adressée sur leurs tombeaux. Vous l’avez aussi trouvée par le renforcement de votre union spirituelle, de votre adhésion et de votre confiance envers le Successeur de Pierre. Mais j’espère, moi aussi – pour une petite part – participer à fortifier votre espérance par les quelques mots que je vous adresse à présent.

Et je le fais d’abord en vous disant : merci. Le travail que vous accomplissez en faveur des familles est d’une importance considérable pour l’Église et pour la société humaine. Les défis sont nombreux, vous l’avez dit, le modèle de la famille chrétienne est de plus en plus contesté, voire combattu et, par conséquent, de moins en moins répandu. Le réseau que vous constituez est donc un puissant soutien pour nombre de familles et de futurs époux qui gardent au cœur le désir de vivre selon l’Évangile et de le transmettre, et qui, dans les intempéries et les moments de crise et de difficulté, pourraient se sentir isolés, se décourager, ne pas trouver l’aide fraternelle nécessaire ni goûter la joie de l’amour.

Il est beau de constater le généreux dynamisme de vos engagements et la diversité des services, formations, rencontres que les AFC proposent aux familles dont beaucoup ont grand besoin. Je vous transmets donc les encouragements du Saint-Père – qui recevait avec grande bienveillance l’an dernier la Fédération des Associations Familiales Catholique en Europe – à persévérer dans l’espérance ; votre travail porte et portera du fruit. Encore une fois, merci !

Je vois en vos AFC une force de proposition sur la scène politique, économique et sociale de votre pays, pour que la famille, selon l’enseignement de l’Église catholique, soit promue et encouragée. Si votre voix n’est pas assez, voire peu entendue en certains cas, ce n’est certes pas parce qu’elle manquerait de clarté, de courage, ni de force. C’est parce que vous avez à faire face à une fermeture absolue aux vérités anthropologiques évidentes et à tout ce qui relève du transcendant. C’est pourquoi, je pense que doit être entrepris un travail de reconstruction anthropologique, qui aboutira à une ouverture à la dignité et aux valeurs transcendantes connaturelles à la personne humaine. M’inspirant du principe théologique que « la grâce suppose la nature, et la rend parfaite », j’affirme avec force que, en l’absence de la véritable et authentique anthropologie prédisposée par le Créateur, l’être humain est incapable de relations vraiment
humaines, incapable de connaître Dieu et d’accueillir le don qu’il fait de Lui-même et court inévitablement vers son autodestruction.

“C’est pourquoi, votre action est importante non seulement pour notre Église, mais aussi pour nos sociétés.”

C’est pourquoi, votre action est importante non seulement pour notre Église, mais aussi pour nos sociétés. Et cela parce que la famille, écrivait saint Jean-Paul II, est le « lieu premier d’humanisation de la personne et de la société », « le premier espace pour l’engagement social des fidèles laïcs, un engagement qui ne peut être assumé de façon valable que dans la conviction de la valeur unique et irremplaçable de la famille pour le développement de la société et de l’Église elle-même » (Christifideles laici, n. 40). Relisant cette citation
du saint Pape, les mots « lieu d’humanisation » ont retenu mon attention, et je pensais à quel point nos sociétés, surtout occidentales et dites civilisées, ont grand besoin aujourd’hui d’être humanisées.

C’est peut-être l’un des défis dont vous parliez et sur lequel je voudrais m’attarder un peu. Que de violences aujourd’hui autour de nous, à nos portes, dans nos rues ; que de mépris des personnes et de leur dignité, que d’indifférence, que de banalisation, que de manques de respect, de courtoisie et de bienveillance ! Les tristes événements d’une grande violence que notre monde vit ces dernières décennies mettent en lumière un « ensauvagement » – ce terme est employé par des hommes politiques, des journalistes et des chroniqueurs français – un « ensauvagement » de la société assez effrayant. Je trouve que ce terme, quoique pouvant choquer ou créer de l’indignation, est bien choisi car il interroge…

Serait-il possible, après 2000 ans de progrès civilisationnels en Europe, dus en majeure partie à l’enracinement du christianisme, que nos sociétés redeviennent « sauvages » ? Et il ne s’agit pas seulement de comportements individuels, puisque, sur le plan des institutions, les lois bafouant la dignité de la personne et la vie humaine sont toujours plus nombreuses, marquant un naufrage de civilisation sans précédent : hier l’avortement, aujourd’hui la PMA et la théorie du genre, demain l’euthanasie… Où s’arrêtera-t-on ? Ne sont-ce pas là des violations de droits humains primordiaux ? Ne sont-ce pas là des formes de violence exercée sur la conscience de personnes dans l’accomplissement de leur métier ?

“La dignité humaine est inviolable et ne doit pas être sujette à des décisions arbitraires et aléatoires”

Dans sa compréhension ontologique, la dignité humaine est inviolable et ne doit pas être sujette à des décisions arbitraires et aléatoires, à des manipulations politiciennes et émotionnelles. La dignité de l’être humain ne dépend ni de sa santé, ni de sa longévité et encore moins de la qualité de sa vie. Il est alors évident que l’Église doit affirmer et promouvoir la « culture de la vie », une culture dans laquelle l’avortement, l’euthanasie et le suicide assisté n’ont aucune place. Il s’agit aussi de bannir la culture de l’exclusion des valeurs innées, la mondialisation de l’indifférence si souvent dénoncée par le Pape François et la tyrannie de la pensée unique, qui n’est autre qu’une forme d’asservissement et de colonisation, surtout des sans voix… En ce sens, je pense, par exemple, que ne cessent de se multiplier les injures à la dignité de la femme, injures savamment camouflées sous des expressions émancipatrices. C’est pourquoi, j’ose vous encourager à dénoncer tout ce qui porte atteinte à l’être profond de la femme dans tous les secteurs de la vie, même dans la publicité commerciale.

“L’Église ne peut rester muette face au phénomène croissant de la négation des évidences et des vérités ontologiques”

En outre, l’Église ne peut rester muette face au phénomène croissant de la négation des évidences et des vérités ontologiques, dont une des conséquences est la promotion effrénée de la théorie du genre qui empoisonne le système éducatif, les lieux de travail et les institutions publiques et privées. Les AFC devront continuer à faire comprendre, d’abord aux baptisés et ensuite aux personnes commises à la destinée de nos sociétés, que l’Église ne peut admettre la déconnexion totale entre le genre et le sexe biologique de l’être humain.

“Il est primordial d’engendrer à notre monde des personnes qui respectent la « grammaire » inscrite par le Créateur dans l’être humain”

Tout cela requiert du courage, le courage du martyr, qui est une grâce à demander chaque jour, si nous voulons évangéliser. Il s’agit là aussi de petites passions à vivre à la suite du Christ. Vous me demandiez, dans votre lettre, « quelle est la mission et la vocation des familles catholiques dans un monde occidental marqué par la déchristianisation ? ». Si nos sociétés redeviennent « sauvages », alors il faut les humaniser en les guérissant de leurs maux profonds. Face à l’effacement de la foi et de la culture chrétiennes, il est primordial d’engendrer à notre monde des personnes qui respectent la « grammaire » inscrite par le Créateur dans l’être humain ; et d’engendrer à l’Église des générations de chrétiens fervents, convaincus et convaincants, « branchés » ou « connectés » au Christ, ferments de paix et de fraternité évangélique vécue, des chrétiens qui conserveront la foi et la transmettront à leur tour.

“La famille (…), première école des valeurs, où l’on apprend l’utilisation correcte de la liberté”

Notre Saint-Père le Pape François a placé son Pontificat sous le signe de la mission, invitant toute l’Église à une « nouvelle évangélisation pour la transmission de la foi » (Evangelii gaudium, Introduction, III), avec comme fondement et comme visée « une rencontre personnelle avec Jésus-Christ ou, au moins, une décision de se laisser rencontrer par lui » (Ibid., n. 3). Cet élan missionnaire, demandé à toute l’Église, concerne évidemment la famille qui est, comme l’affirme le Pape dans l’Exhortation apostolique Amoris laetitia, « la première école des valeurs, où l’on apprend l’utilisation correcte de la liberté » (n. 274) ; « le lieu où l’on enseigne à percevoir les raisons et la beauté de la foi, à prier et à servir le prochain » (n. 287).

Il me semble que l’avenir de l’Église et de nos sociétés en Europe, et plus particulièrement en France, continuera à se jouer en grande partie au sein des familles, dans la mesure où elles seront ou non capables de transmettre la foi avec ses valeurs, qui imprègneront désormais toute la vie et l’activité du disciple du Christ. Je suis frappé de voir comment, sur d’autres continents, la foi est présente dans la vie quotidienne : on affiche sa foi et l’on prie sans aucun complexe ; la question de Dieu intéresse et est même première, on en parle ouvertement en famille ou en public, et à tous les âges, et dans toutes les circonstances.

Or tout cela se trouve étouffé dans nos sociétés : Dieu n’intéresse plus, on croit pouvoir se passer de Lui, vivre et être heureux indépendamment de Lui. Même dans nombre de familles chrétiennes on ne parle jamais de Dieu, comme s’il y avait une honte, comme si c’était une vérité préhistorique. Beaucoup de jeunes baptisés décrochent et abandonnent, par manque d’enracinement et d’authenticité. Je crois qu’au sein des AFC vous avez, parmi d’autres, cette mission de réfléchir sur les moyens et les méthodes de transmettre à nos jeunes une foi profondément enracinée et authentique ; une foi décomplexée, joyeuse et solide qui résiste au choc de la confrontation inévitable, et qui ose dialoguer avec la science, la technologie, les cultures non chrétiennes et le monde du net.

Dans cette perspective, il me semble urgent, pour les AFC, d’accélérer la formation de jeunes chrétiens, qui se consacreront au service des nations et deviendront de véritables leaders. Je pense enfin que les AFC pourraient bien s’enrichir du témoignage de foi des familles des jeunes Églises. Beaucoup de nos jeunes pourraient retrouver la foi au contact de leurs camarades de ces mêmes Églises. Cela suppose que vous sortiez, que vous preniez le bâton et la besace du pèlerin pour aller à la rencontre de ses belles
réalités ecclésiales, qui constituent une espérance sûre pour l’Église catholique entière.

Chers frères et sœurs, encore une fois, je vous invite à garder l’espérance, à ne pas avoir peur d’oser, de risquer et d’être créatifs. Je vous encourage à persévérer dans vos engagements avec joie et détermination, sous la conduite de l’Esprit Saint. Je vous confie tous à l’intercession de la Sainte Famille de Nazareth, et, bien volontiers, j’invoque l’abondance des bénédictions du Seigneur sur vous et sur toutes les personnes qui vous accompagnent et vous soutiennent dans votre noble mission.

Pietro Card. Parolin
Secrétaire d’Etat de Sa Sainteté

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