Noël 2025 : cadeaux, renoncements et inégalités
Alors que les fêtes approchent, le baromètre annuel de Dons Solidaires et de l’Ifop dresse un état des lieux précis du rapport des Français – et plus particulièrement des parents – à Noël. Renoncements à l’achat de cadeaux, appréhensions grandissantes ou sentiment d’exclusion : l’étude montre combien cette période, censée rassembler, demeure un révélateur puissant des inégalités sociales et des fragilités économiques. Malgré une légère détente du contexte financier, la fête reste pour beaucoup une épreuve symbolique et matérielle.
Des émotions contrastées autour des fêtes
Malgré les difficultés économiques persistantes, Noël conserve une forte portée affective. Soixante-six pour cent des Français disent se réjouir de cette période, un niveau stable depuis 2021. Mais cette réjouissance ne reflète qu’une partie de la réalité. Un tiers des personnes interrogées se montrent indifférentes, 28 % appréhendent les fêtes et 25 % les vivent avec tristesse, un chiffre en léger recul par rapport à 2024. Cette coexistence d’émotions confirme un vécu de Noël profondément fragmenté.
Les appréhensions expriment deux formes de vulnérabilité. La première est économique : ne pas pouvoir offrir de cadeaux est la principale crainte pour 33 % des Français, un taux qui grimpe à 46 % chez les catégories pauvres et à 50 % chez les foyers monoparentaux, alors qu’il tombe à 9 % chez les hauts revenus. La seconde est relationnelle : 20 % redoutent d’être seuls (+2 points). Enfin, 35 % déclarent ne rien appréhender du tout, une proportion écrasante chez les hauts revenus (56 %) mais très faible chez ceux qui connaissent souvent des difficultés financières (10 %). Deux expériences de Noël coexistent ainsi sans se rencontrer.
Des renoncements encore fréquents malgré un recul
Cette tension émotionnelle s’inscrit dans un contexte où, une nouvelle fois, une part importante de parents doit revoir ses achats de Noël. En 2025, 37 % des parents d’enfants en âge de recevoir des cadeaux déclarent renoncer totalement ou partiellement à certains achats. Ce chiffre reste élevé mais poursuit une baisse amorcée depuis trois ans : 41 % en 2024, 44 % en 2023 et 47 % en 2022. La tendance suggère une amélioration progressive, portée par la stabilisation des prix et par une adaptation des comportements.
Cependant, ce recul demeure très inégal selon les conditions de vie. Les renoncements concernent 54 % des catégories pauvres, 58 % des travailleurs pauvres et 64 % des personnes rencontrant souvent des difficultés financières. À l’opposé, ils deviennent presque marginaux chez les catégories aisées (12 %) et les hauts revenus (6 %).
Des privations qui se concentrent sur les loisirs personnels
Près d’un parent sur deux (49 %) déclare se priver d’autres postes de dépenses pour permettre l’achat de cadeaux, un taux identique à celui observé en 2024 mais en baisse par rapport aux pics de 2022 et 2023. Les arbitrages montrent une hiérarchie stable : les sorties (36 %), les vacances (21 %), les cadeaux à d’autres proches (13 %), les vêtements (12 %) et le mobilier (12 %). Les parents s’effacent les premiers : ils réduisent leurs loisirs ou leurs besoins personnels avant de toucher au budget destiné aux enfants.
Trente pour cent des parents ne rognent sur aucun poste, une proportion très élevée chez les hauts revenus (76 %) mais limitée à 18 % parmi les catégories pauvres.
Quand les arbitrages atteignent les besoins essentiels
Pour les ménages les plus fragiles, les sacrifices ne se limitent plus au superflu. Chez les parents qui rencontrent souvent des difficultés financières, 16 % diminuent leurs achats alimentaires, 11 % de chauffage, 6 % de carburant et 5 % de soins médicaux. Ces chiffres demeurent minoritaires mais traduisent une précarité extrême, où la pression symbolique à « faire Noël » entre en collision avec la satisfaction des besoins vitaux.
Une charge psychologique lourde et silencieuse
Au-delà des chiffres, l’étude met en lumière une dimension souvent invisible : la souffrance psychologique liée aux renoncements. Parmi les parents qui adaptent leurs achats – cadeaux plus modestes, achats d’occasion ou renoncement partiel –, 55 % éprouvent un sentiment de honte ou de culpabilité de ne pas pouvoir gâter leurs enfants autant qu’ils le souhaiteraient. Ce taux progresse légèrement par rapport à 2024 (51 %).
Cette culpabilité frappe surtout les plus précaires : 85 % chez les parents rencontrant souvent des difficultés financières, 75 % chez les mères célibataires, 74 % chez les travailleurs pauvres et 73 % au sein des catégories pauvres. À l’inverse, elle devient minoritaire dans les catégories aisées (19 %) et chez les hauts revenus.
Un recul mesuré de l’insécurité économique
L’étude montre par ailleurs une amélioration du ressenti financier général. En 2025, 44 % des Français craignent de ne pas finir le mois, contre 49 % en 2024 et 57 % en 2023. De même, 39 % redoutent de basculer dans la pauvreté, et la proportion de ceux qui rencontrent souvent des difficultés financières recule de cinq points (22 % contre 27 %). Deux facteurs expliquent cette détente : la stabilisation de l’inflation et un phénomène d’habituation psychologique, qui atténue le choc initial provoqué par la flambée des prix de 2022-2023.
Mais cette amélioration reste relative : près d’un Français sur deux demeure inquiet pour ses fins de mois et deux sur cinq pour un basculement dans la pauvreté.
Des fractures sociales toujours vives
Derrière cette moyenne nationale, les écarts demeurent considérables. Soixante-quatre pour cent des familles monoparentales craignent de tomber dans la pauvreté. Le taux atteint 54 % chez les catégories populaires. Par ailleurs, 74 % des parents estiment que leurs enfants auront une vie plus difficile que la leur, un niveau quasi stable par rapport à 2024. Le pessimisme demeure donc structurel, alimenté par un sentiment de déclin social durable.
Une fête qui révèle les fractures françaises
L’édition 2025 du baromètre Dons Solidaires–Ifop révèle ainsi un tableau contrasté. Si la pression économique immédiate s’atténue légèrement, les vulnérabilités restent nombreuses et fortement concentrées. Les renoncements diminuent mais demeurent massifs chez les plus fragiles. Les privations continuent de peser sur le quotidien, parfois jusqu’aux dépenses essentielles. Enfin, la charge psychologique – honte, culpabilité, isolement – témoigne d’une réalité intangible : Noël demeure pour beaucoup un moment de tension, qui met en lumière les inégalités plutôt qu’il ne les atténue.
Source : IFOP pour Dons Solidaires, baromètre annuel 2025.